La servitude abords des monuments historiques renforcée

La servitude abords monuments historiques

Le Conseil d’Etat est venu apporter récemment[1] des précisions sur le critère de « covisibilité », un élément important de la protection au titre des abords des monuments historiques qui, rappelons-le, est une servitude d’utilité publique. Cette décision de la plus haute juridiction est notable puisqu’elle agrandit le périmètre des 500 mètres, sous certaines conditions, d’une servitude que l’on retrouve dans plus de 17 000 communes en France.

La covisibilité : une notion sans cesse définie

Cette manière de procéder, la recherche de covisibilité, est le moyen pour l’Architecte des Bâtiments de France (ABF) de déterminer si la servitude « Abords des monuments historiques » s’applique sévèrement ou pas, entièrement ou dans une version allégée. Concrètement si la covisibilité est établie par l’ABF (et il est le seul à pouvoir l’établir), alors les autorisations d’urbanisme devront obligatoirement se conformer à l’avis de celui-ci. Qu’il impose des prescriptions supplémentaires ou qu’il notifie un refus. À l’inverse, le défaut de covisibilité a pour conséquence directe que la consultation de l’ABF reste obligatoire mais que son avis n’est pas obligatoirement à suivre. On parle dans le premier cas d’un avis conforme, dans le second d’un avis simple.

La covisibilité se détermine selon deux critères principaux. Un immeuble est considéré dans le champ de visibilité d’un monument classé ou inscrit, lorsque :

  • Il est situé dans un périmètre de 500 mètres autour de cet édifice ;
  • il est visible depuis ce monument ou visible en même temps que lui depuis un lieu normalement accessible au public.

Des précisions utiles mais qui complexifient

Pour en revenir à notre arrêt, l’histoire n’est pas complexe. Une église au style architectural moderne située à Anglet, petite ville sur la côte Basque, est protégée par une servitude au titre des abords des monuments historiques. Celle-ci se matérialise par un périmètre de protection « réglementaire », dans un rayon de 500 mètres autour de l’édifice des contraintes importantes s’appliquent en matière de construction ou de travaux (avis conforme de l’Architecte des Bâtiments de France, etc.). Sans grande surprise, lorsque la mairie a accordé un permis de construire à une société pour qu’elle puisse construire un logement collectif, une association de riverains a saisi le juge des référés pour faire annuler le permis pour, entre autres, défaut de consultation de l’ABF.

L’affaire remontée jusqu’au Conseil d’Etat permit au juge d’apporter des précisions sur la façon dont doit être apprécié la covisibilité. Celle-ci doit :

  • Être constatable depuis un lieu normalement accessible au public (il s’agit d’un revirement de jurisprudence) ;
  • être constatable à l’œil nu (sans appareil photo à fort grossissement comme dans cette affaire) ;
  • peut-être constatée au-delà d’une distance de cinq cents mètres du monument historique.

Ce dernier point est le plus important mais également le plus sibyllin. Pourquoi étendre la covisibilité au-delà de 500 mètres ? La question reste sans réponse, tandis qu’en pratique cette extension de la servitude « jusqu’à être constatable à l’œil nu » va sans nul doute complexifier le travail de l’ABF et des services instructeurs. Cette position est d’autant plus incompréhensible que les Périmètres Délimités des Abords (PDA), issus de la loi CAP de 2016[2], avaient été créés en partie pour éviter que l’ABF ne perde du temps à étudier la covisibilité. Pour rappel dans les PDA il n’y a plus à apprécier la covisibilité puisqu’elle est considérée comme automatique, ainsi la question ne se pose plus.

Ce choix du législateur s’explique aisément, l’appréciation du critère de covisibilité repose sur le seul ABF. Mais cette appréciation a toujours été polémique car la covisibilité n’étant pas clairement définie si ce n’est dans ces grands principes, elle a toujours donné lieu à des jurisprudences qui étaient autant d’éléments venant affiner le principe face aux immanquables et innombrables questions : Quel lieu peut être défini comme public ? Peut-il être payant ? Peut-on apprécier la covisibilité d’un toit ? Peut-elle disparaître avec le développement de la végétation au Printemps ? C’est ainsi que les juges précisent et prennent des décisions selon les cas d’espèce depuis 1913. C’était tout l’intérêt des dispositions de la loi CAP avec la création des PDA, diminuer les contentieux. A l’encontre des volontés du législateur, le juge précise la notion (à l’œil nu) mais la complexifie en faisant déborder la servitude de son lit naturel : les 500 mètres.

Périmètre Délimité des Abords (PDA) à Marseille sur l’illustration de gauche, périmètre automatique de 500 mètres à Nice sur celle de droite

[1] https://www.conseil-etat.fr/fr/arianeweb/CE/decision/2020-06-05/431994

[2] https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000032854341&categorieLien=id

Pour en savoir plus : https://www.culture.gouv.fr/Actualites/Loi-LCAP-decryptage-des-textes-d-application


Publié par Vincent Bicini pour Preventimmo
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Vincent Bicini


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